Red Sucker Lake
18 juin 2015
Bien que je ne connaisse le Nord du Canada que depuis peu, son devenir me préoccupe depuis fort longtemps : que vont devenir ces immenses territoires vierges dans les décennies à venir ? Comment vont-ils évoluer avec le réchauffement climatique ? Vont-ils devenir habitables ? Seront-ils la proie, une fois encore, de la cupidité des hommes ?
Toutes ces questions se bousculent sans arrêt dans ma tête et j’aimerais participer à leurs mutations, sans que cela rime avec saccage environnemental qui ne mène à rien, si ce n’est à notre perte à tous.
Voici donc l’idée, pour laquelle je cherche une première communauté amérindienne, volontaire, pour la mettre en œuvre :
En voyageant par lacs et rivières, comme l’ont fait bien avant moi moult générations d’Amérindiens, j’ai réalisé l’importance du réseau de communications inter-villages qu’ils avaient créé et la richesse que cela représente aujourd’hui encore. Hélas, de nombreuses voies de communications tombent, petit a petit, dans l’oubli, la végétation reprend ses droits et les portages deviennent inutilisables, excepté avec un kayak gonflable comme le mien qui tient, une fois plié dans le sac à dos.
J’aimerais réhabiliter l’ensemble de ces voies de communications inter-villages et des trails utilisés pour la trappe en les entretenant et en les rendant praticables, même l’été, grâce à des planches qui permettraient de traverser les passages humides, comme cela se fait en Norvège et en Suède, le long des sentiers de randonnée. Il serait possible aussi de construire des cabanes en bois dans les endroits éloignés pour pouvoir y passer la nuit.
Une fois ce travail effectué, ce réseau de communication serait utilisé notamment pour les enfants afin :
– de leur faire découvrir la vie sauvage grâce à des spécialistes de la faune et de la flore,
– d’organiser des sorties sportives ou de découvertes sur un ou plusieurs jours,
– de faire revivre traditions et savoir-faire,
– de développer une activité touristique “verte”, c’est à dire, aucune activité polluante, autour de la découverte du biotope, d’activités sportives (marche, kayak, stage de survie, pêche).
Tout cela aurait le mérite d’occuper activement le territoire sans laisser le champ libre à ceux qui détruisent notre planète. En outre, cela permettrait la création de très nombreux emplois pour lesquels les jeunes adultes auraient la priorité. Un tel travail mobiliserait l’ensemble de la population d’une communauté amérindienne, tous âges confondus.
Je suis prêt à m’investir totalement dans ce projet et dispose de tout le temps nécessaire pendant le prochain hiver pour en discuter et mettre tout cela en route.
Pour cela j’ai besoin de vous, de votre confiance en l’avenir et en mes idées.
God’s Lake Narrows
22 juin 2015
Trois jours de marche ont été nécessaires pour rallier God’s Lake, une autre communauté amérindienne isolée vivant, à mon gout, dans une douce quiétude. La beauté des lieux qui tient essentiellement aux nombreuses iles vallonnées, ourlées de roches, n’a pas usurpée son nom de Lac du Créateur. La population se veut aussi à son image, pieuse et débordante de qualités humaines. Au milieu de cette nature sauvage vraiment préservée, toutes les préoccupations qui accaparaient mon esprit auparavant me semblent loin, comme si elles n’avaient jamais existées. Mon prénom ,imprononçable pour un anglophone, plonge toujours mon interlocuteur dans la perplexité et le silence. C’est peut-être pour cette raison que l’on m’a affublé, aujourd’hui, du nom de Crazy Whiteman Horse, désormais mon nom indien…qui fait suite à celui de Bushman.
Catégorie maux croisés, si la route d’hiver, en sortie de Muskrat Dam, était un 4 étoiles, la piste sous les lignes électriques de Red Sucker Lake n’en mérite que 2. Pour les besoins des travaux d’édification de la
ligne, tous les arbres ont été rasés sur une largeur d’une vingtaine de mètres sous les pylônes. Depuis, la végétation a repris ces droits progressivement mais il y a toujours un passage pour se faufiler. Je me laisse guider par les sentes animales très fréquentées pour le trouver. Afin de préserver mes articulations des faux-mouvements que provoquent un sol mou, instable et semé d’embuches, j’ai focalisé toute ma concentration pour le lire et anticiper. A la fin de ces 3 jours, j’ai eu l’impression d’être moi même une partie de cette couverture végétale spongieuse, ma respiration balançant au rythme de mes pas.
En ce qui concerne la marche pieds nus, je n’ai pu effectuer plus de 10 km ainsi. Les coupures devenant ensuite trop nombreuses pour continuer sans chaussures. Le travail requis pour aguerrir mes pieds est immense, et je fais, pour ainsi dire, mes premiers pas… Peut-être pensez-vous que mon entêtement est absurde et que je n’ai qu’à porter des chaussures comme tout le monde ? Personnellement, je situe l’absurdité dans le fait d’apprendre à marcher à 30 ans ! Porter systématiquement des chaussures a fait de nous des handicapés, le comique spectacle d’un être humain marchant sur des cailloux atteste cet indéniable état de fait…